Les « attendus » dans la nouvelle plateforme « Parcours sup » (article Linkedln)

Comme beaucoup le savent désormais, en France, il a été décidé de mettre en œuvre une nouvelle plateforme télématique de gestion des candidatures des bacheliers désireux de passer dans l’enseignement supérieur.  Nommée « Parcours sup« , elle vient remplacer en 2018 la plateforme « admission post bac » (APB ») qui existait depuis 2009. Au moment où nous rédigeons cet article, la version définitive de cette nouvelle plateforme n’est pas encore connue : elle fait l’objet d’un débat parlementaire qui doit aboutir à une loi dont on espère qu’elle sera votée avant le 15 janvier 2018, date officielle du lancement de la nouvelle plateforme.

L’une des nouveautés les plus marquantes est l’apparition d’ « attendus » , visant à mieux réguler les flux de candidatures pour l’accès aux divers premiers cycles universitaires. Les équipes des établissements scolaires concernés ont été destinataires, le 12decembre, d’une première version dite « nationale », qui n’a rien de définitif car il reste à accomplir le gros travail de déclinaison locale, visant à adapter la version nationale aux spécificités locales de chaque premier cycle universitaire. La version finale devra en outre préciser comment on compte opérer, donc lister clairement les critères qui seront utilisés pour cette « régulation des flux ». Ce travail doit être fait d’ici le 15 janvier 2018, date d’ouverture officielle de la plateforme « Parcours sup ». Il convient donc pour le moment de se montrer prudent sur la communication qui doit être faite auprès des élèves et parents, mais aussi des professeurs principaux et autres personnels chargés d’accompagner les « usagers » en matière d’orientation.

  1. De quoi s’agit-il ?

On a longtemps parlé de « pré requis », mais il semble que cette connotation a été considérée comme étant trop chargée de l’idée de sélection. On a donc préféré l’expression plus neutre d’ « attendus ». Le principe est simple à comprendre : pour chaque premier cycle universitaireles candidats verront s’afficher sur la plateforme Parcours sup une liste de conditions de la réussite. Ce sont des connaissances et compétences que l’on considère comme devant être préalablement acquises pour avoir des chances raisonnables de réussir. Le Ministère a pris soin de commencer par publier un cadre national pour chaque licence ainsi que pour la PACES (première année du premier cycle des études de santé), mais chaque formation locale est libre d’ajouter des attendus complémentaires fondés sur ses spécificités. Les versions finales ne seront connues que dans la première quinzaine de janvier 2018.

2. Distinguer les « éléments » des « critères »

Les attendus qui viennent d’être publiés nationalement comportent pour chaque premier cycle universitaire une liste d’ « éléments de cadrage national » (par exemple, pour la PACES, « disposer de très bonnes connaissances et compétences scientifiques »). Chaque élément de cadrage national doit faire l’objet d’une déclinaison locale, et être accompagné de « critères » d’évaluation des candidats (par exemple : « avoir obtenu au moins 12/20 de moyenne en sciences de la vie et en mathématiques », notes observées dans les bulletins scolaires de première et terminale).

Si certains « éléments de cadrage national » sont fortement transversaux, se retrouvant pour plusieurs licences (par exemple : « disposer d’aptitude à travailler de façon autonome » ou « disposer d’un bon niveau dans au moins une langue étrangère »), d’autres sont propres à une seule formation universitaire de premier cycle (par exemple, pour la licence STAPS : « disposer de compétences sportives »; pour la licence d’histoire de l’art et archéologie : « avoir un intérêt pour l’art, l’archéologie, l’histoire et la culture », etc.).

Il appartient désormais à chaque établissement universitaire, pour chacun de ses premiers cycles, de décliner ces éléments définis nationalement, et d’expliquer clairement de quelle manière chaque candidature sera examinée localement : quels sont les éléments utilisés (bulletins de notes, tests, fiche Avenir renseignée en amont au niveau lycée, avis du conseil de classe du deuxième trimestre…) et les critères (être reçu à tel ou tel baccalauréat, avoir obtenu une note moyenne égale ou supérieure à 13/20 en telle ou telle matière, afficher un score minimum à l’issue d’un test…). Ce sera chose faite d’ici le 15 janvier 2018.

3. Une entrée en force des connaissances et compétences extra scolaires

La lecture des éléments de cadrage national permet de constater qu’outre les connaissances et compétences scolaires, on s’attachera plus qu’on ne l’a fait jusque-là au développement personnel des candidats. Ainsi, par exemple, il a été décidé d’ouvrir sur la nouvelle plateforme une rubrique « projet de formation motivé » par laquelle chaque postulant doit rédiger son projet pour chacune des candidatures qu’il exprime. Il est précisé que cela remplacera les traditionnelles lettres de motivation « qui n’auront plus vocation à être sollicitées par les établissements « . Il n’échappe à personne que cette mesure a été prise dans le but de soulager le travail des jurys qui faisaient remarquer qu’ils n’auraient le plus souvent pas les moyens de lire les centaines, voire milliers pour certaines formations, de longues lettres de motivation qui leur seraient parvenues.

Cela va plus loin dans la mesure ou la très récente « charte pour une mise en œuvre partagée des attendus » précise que pour certaines formations, « l’exercice préalable de fonctions d’animation, d’encadrement, de responsabilités collectives, associatives ou citoyennes constitue un atout ». De même, le fait de s’être doté du brevet de secourisme, du BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur), d’avoir fait un stage en milieu professionnel, d’avoir été délégué des élèves, d’avoir une pratique sportive ou artistique en club/association/conservatoire, d’avoir passé avec succès un test d’aptitude à une langue étrangère, de s’être rendu aux journées portes ouvertes… sont autant d’éléments (avec bien d’autres) que l’on prendra désormais plus en compte qu’on ne l’a fait jusque là. Pour revisiter une célèbre pensée de Michel de Montaigne : les établissements supérieurs sont incités à ouvrir leurs portes aux candidats qui ont « une tête bien pleine », mais aussi « bien faite ».

4. Le cas particulier des licences de droit

Les licences de droit sont les seules à exiger que les candidats suivent au préalable un module de « découverte du droit », venant s’ajouter à une longue liste d’attendus. Ce module obligatoire vise à offrir aux lycéens « un premier aperçu de l’adéquation de leur profil à une licence de droit ». Une telle exigence appelle de rapides précisions car pour les lycéens actuels qui se préparent à demander leur admission en licence de droit, il reste peu de temps pour savoir en quoi consistera un tel module, et comment et où il sera possible d’en bénéficier. Le lecteur intéressé trouvera la présentation d’un tel module, intitulé « Le droit, est-ce pour moi ? », sur le site fun.mooc.fr ou sur divers sites d’universités qui l’ont d’ores et déjà mis en ligne.

En outre, les candidats à cette licence devront se soumettre à un « test de positionnement en droit » conçu pour permettre aux lycéens de s’auto évaluer, donc de savoir si leur profil est conforme aux attendus de cette licence (aptitudes à la compréhension, à l’analyse, à la synthèse d’un texte ou d’un dossier, au raisonnement conceptuel, au travail autonome, capacité d’expression écrite et orale, esprit logique, sens de l’organisation…).

5. À quoi cela va-t-il servir ?

Pour bien répondre à cette question, il convient de distinguer le cas des premiers cycles non sélectifs de ceux qui sont sélectifs.

Les premiers sont les plus nombreux. Conformément au Code de l’éducation, ils sont accessibles à tout bachelier candidat, et ce quel que soit le baccalauréat préparé et obtenu, et indépendamment de la qualité du parcours accompli durant les années lycée. Concernant le rôle joué par les attendus, il faut distinguer les premiers cycles universitaires non sélectifs mais à effectifs limités, de ceux qui sont à effectifs non limités.

. Les premiers ne sont pas en mesure d’accueillir l’ensemble des prétendants. De ce fait, n’ayant jusqu’en 2017 pas le droit de trier les candidats par des épreuves de sélection, on y pratiquait un lamentable tirage au sort. L’engagement ayant été pris par le nouveau Président de la Republique d’en finir avec cette pratique, il est clair que l’on va désormais utiliser les attendus comme moyen de « régulation des flux d’entrée « , c’est-à-dire qu’on va sélectionner parmi les prétendants celles et ceux qui sont porteurs de ces pré -requis. Autrement dit, ces formations deviennent sélectives. Ce sera très probablement le cas presque partout pour les licences STAPS et droit, et fréquemment pour PACES, psychologie, et d’autres sans doute, dont la liste variera d’une université a l’autre. A ce sujet, on observe que plusieurs universités ont tendance à d’ores et déjà classer certaines licences jusqu’ici non sélectives et à effectifs non contingentés, en licences à effectisf contingentés, donc devenant sélectives, ceci bien sur dans le but de pouvoir procéder à une sélection là ou on n’aurait pas pu le faire sans ce changement de statut.

. Quand aux licences à effectifs non limités, qui sont tenues d’accepter tout bachelier demandeur d’admission, on aurait pu s’attendre à ce qu’il n’y ait pas d’attendus. Or, tel ne sera pas le cas : il sera publié des attendus pour TOUTES les formations universitaires de premier cycle concernées par la plateforme « Parcours plus », qu’elles soient sélectives ou pas. Dès lors, on peut se demander quelles fonctions rempliront les attendus dans ce cas de figure. Nous les voyons jouer deux rôles complémentaires qu’il faudra bien prendre en compte :

– Ce que nous nommerons « fonction d’épouvantail« . De même que l’épouvantail vise à effrayer les oiseaux indesurables qui sans cela viendraient picorer les graines et plantes et contrarier les récoltes, les attendus vont dans ce cas avoir pour fonction de faire peur aux élèves qui n’ont pas le profil attendu et les inciter à opter pour d’autres études pour lesquelles ils semblent mieux armés. Cela rentre donc pleinement dans la logique de ce qu’il est convenu de nommer « l’orientation active », qui vise à ce que les élèves fassent des choix raisonnés.

– Cependant, ces formations étant non sélectives, les candidats ont le droit de passer outre un éventuel diagnostic négatif ou très réservé, et donc d’y être admis. Mais dans ce cas, les responsables du premier cycle universitaire disposent désormais du droit de répondre « oui si », créant pour le lycéen admis une obligation de se soumettre à des enseignements de remise à niveau. Ces derniers seront à géométrie variable, adaptés aux besoins de chaque élève concerné, mais aussi fonction des dispositifs mis en œuvre par chaque université. Dans les cas les plus « lourds » ce pourra être une « année propédeutique de remise complète à niveau« , dans d’autres, cela pourra prendre la forme de tutorats disciplinaires en cours de première année, d’un séminaire de pré rentrée ou de tout autre dispositif créé par l’université.

Conclusion :

Il est clair selon nous que ce nouveau système acte la fin progressive d’un tabou : celui de l’interdit de la sélection à l’entrée des universités. Le droit de poursuite des études dans la formation universitaire de son choix accordé à tout bachelier est en France hérité du Code Napoleon de 1808. Il a commencé à être entamé dans les années 1990/2000, lorsqu’un petit nombre d’universités ont obtenu le droit de sélectionner a l’entrée de certaines formations de premier cycle telles celles des universités de Paris-Dauphine, des universités de technologie de Compiegne/Belfort/Troyes, plus récemment rejointes par certaines bi licences, les « collèges de droit et d’économie de l’université Paris-Assas, les classes préparatoires universitaires et diverses formations dites « d’excellence, La nouvelle plateforme « Parcours sup ne saurait donc pas à elle seule être accusée d’avoir créé une situation qui a commencé il y a de plus de 20 ans. Cependant, les « attendus » qui y figurent viennent fortement renforcer cette tendance, et créer ce qui pourrait être une situation d’irréversibilité, ouvrant la porte à une quasi généralisation de ce mode de fonctionnement dans un futur plus ou moins proche .

Bruno Magliulo

Inspecteur d’académie honoraire

Auteur de « Pour quelles études (supérieures)êtes-vous fait ? » (Collection L’Etudiant)